Quand on pense à l’utilisation de la drogue, on pense souvent à une utilisation “ludique”, la majorité des consommateurs lambda se droguent pour se relaxer ou pour ressentir des sensations positives.
Pourtant, la drogue est depuis longtemps liée à un tout autre domaine, bien éloigné de l’amusement, qui est la guerre.
En effet, les drogues sont omniprésentes sur les champs de bataille car elles permettent deux choses aux soldats :
Elles améliorent la combativité, les soldats prennent des stimulants, tels que la cocaïne ou l’amphétamine, qui permettent de renforcer l’endurance, la puissance physique, mais également en améliorant la réactivité et en réhaussant le moral des troupes.
Elles permettent de prévenir les traumatismes de guerre, notamment par la prise de sédatifs, comme l’alcool, la marijuana ou les opiacés, qui avaient l’effet d’un calmant et permettaient de garder les soldats aptes au combat.
Les soldats n’ont pas attendu les guerres mondiales pour tenter de booster leurs capacités par les drogues, leurs utilisations remontent à bien des siècles.
Époque antique et moderne :
La première chose qu’on a cherché à renforcer chez le soldat, c’est sa résistance à la peur, l’alcool s’est très tôt imposé comme un moyen de donner du courage, mais également comme un moyen d’évacuer la tristesse.
C’est le cas notamment en Grèce antique, où les hoplites, qui étaient des soldats, partaient à la guerre après avoir bu d’importantes quantité de vin. Homère évoque également dans son ouvrage “l’Odyssée” le cas des combattants de la guerre de Troie noyant leur peine en consommant de la nepenthes, un mélange de vin et d’opium qui permettait de chasser la tristesse.
L’opium fut également consommé en grande quantité chez les soldats, c’est le cas par exemple des Rajputs, qui sont membres de la caste guerrière Hindous, qui dès les années 1620 se sont distingués par leur consommation régulière d’Opium, notamment lors de la première guerre d’indépendance Indienne de 1857 à 1859, où près de 80% des combattants consommaient de l’opium.
un guerrier rajput
Époque contemporaine :
Une consommation occasionnée d’Opium était alors essentielle pour combattre efficacement, mais une consommation trop régulière causait des ravages, c’est le cas en Chine au 19ème siècle, où l’état des soldats se détériorait à cause de l’addiction à l’opium.
l’Opium la substance issue du latex du Pavot, il est récolté par des incisions permettant au liquide de sortir, comme nous pouvons le voir sur la photo.
Cette addiction a paradoxalement conduit aux guerres de l’opium (1839-1842, 1856-1860), où l’armée Chinoise, composée d’accros à l’opium, a affronté l’armée Britannique afin d’interdire le commerce d’Opium en Chine et limiter les ravages sur la société.
Certains guerriers d’Eurasie ont opté pour une autre manière d’obtenir des effets hallucinogènes, notamment grâce aux champignons, et plus particulièrement les amanites, un champignon qui a la particularité de donner des effets psychotropes faisant perdre conscience de la réalité.
Photo d’amanite tue-mouches, un champignon aux effets psychotropes
Les amanites donnent également un effet de microscopie, qui donne l’impression que tout est plus petit, les vikings s’en servaient alors pour donner l’impression que leurs ennemis étaient minuscules pour aller les affronter sans peur.
Ces amanites étaient également consommés par les guerriers Sibériens, car le “muscimol”, principal composant psychoactif du champignon, permettait d’améliorer significativement les performances au combat, en rendant ceux qui étaient surnommés les “guerriers champignons” très endurants.
Ces champignons avaient une très forte valeur marchande et n’étaient au début que consommés que par les riches, mais les pauvres ont fini par découvrir une solution grâce à l’urine des consommateurs d’amanites, en effet cette dernière gardait les propriétés psychotropes de l’amanite, les pauvres allaient donc collecter cette urine pour la boire et obtenir les effets hallucinogènes.
Cette pratique a durée chez les combattants Sibériens jusqu’à la seconde guerre mondiale, où lors de la bataille de Budapest en 1945, des Soviétiques sous l’emprise de champignons ont fait preuve d’un courage sans faille.
L’occident fut également grandement touché, notamment en France, Napoléon 1er était un adepte de la distribution d’alcool aux soldats afin de leur remonter le moral et de leur donner du courage, c’est par exemple le cas lors de la bataille d’Austerlitz, où il fit distribuer de nombreuses rations de “Brandy” (de l’eau de vie) à ses soldats.
Le vin était indispensable pour la guerre, George Washington voyait cela comme une ressource qu’il fallait obligatoirement prendre en compte dans les plans de guerre, et le maréchal Pétain a déclaré « de tous les approvisionnements envoyés à l’armée pendant la guerre, le vin était certainement le plus attendu et apprécié par le soldat ».
La première guerre mondiale:
La première guerre mondiale signe le début de l’apparition des drogues modernes sur le front, avec l’apparition de l’utilisation de la cocaïne. La cocaïne était alors utilisée soit de manière récréative, pour calmer les nerfs des soldats, soit pour améliorer leurs performances, notamment grâce à son effet “coupe-faim”, qui permettait de réduire les rations de 20%, et la grande guerre a laissé de nombreux vétérans accros à la cocaïne.
Les soldats n’étaient d’ailleurs pas toujours au courant qu’on leur en faisait consommer, car la cocaïne était mêlée à la nourriture.
La cocaïne fut utilisée par différents corps des différentes armées, comme chez les pilotes Français et Allemands, chez les soldats Canadiens et Australiens et chez les fantassins britanniques. Pour obtenir les quantités de cocaïne suffisantes pour nourrir les soldats, les alliés comme les forces de l’Axe étaient fournis par l’industrie Néerlandaise “Nederlandsche Cocaïne Fabriek”, qui fabriquait de la cocaïne à des fins médicales, mais qui s’est servi de la première guerre mondiale pour s’enrichir et devenir le plus gros producteur de cocaïne du monde.
La “Nederlandsche Cocaïne Fabriek” en 1922
L’auto-prescription de la cocaïne était courante, les pharmacies vendaient des kits contenant de la cocaïne et de l’héroïne et présentaient cela comme “un cadeaux pour vous amis au front”. A cause des nombreux problèmes d’addiction, l’auto-prescription de ces drogues finit par être interdite en juillet 1916 par la “Loi sur la défense du royaume”.
La seconde guerre mondiale :
La drogue la plus courante lors de la seconde guerre mondiale fut les amphétamines, dont le plus consommateur fut (sans surprises) le troisième Reich. En effet, dès les premiers mois de la guerre, les soldats de la Wehrmacht consommaient des amphétamines sous la forme de pilules nommés “Pervitin”, dont les effets avaient déjà été testé lors de la guerre civile Espagnole, qui a servi de “répétition” avant la vraie guerre pour les forces de l’Axe.
Ces pilules sont un dérivé des amphétamines, qui mêlé à la cocaïne (dont l’Allemagne produit 80% du stock mondial), crée des effets psychostimulant, et qui permettent notamment de rester éveillé pendant des dizaines d’heures, de booster la concentration et de retarder les effets de la fatigue.
Cette drogue était à la base disponible en libre accès dans les pharmacies, et même les civils Allemands en consommaient, il y a par exemple un confiseur Berlinois qui en ajoutait dans ses pralines.
Ces pilules étaient indispensables pour les soldats Allemands, d’Avril à Juin 1940, durant les conquêtes de la Belgique, de la France, des Pays-Bas et du Luxembourg, les Soldats ont consommé plus de 35 millions de pilules.
La Méthamphétamine était également fournie sous forme de barres chocolatées de la marque “Ssho-Ka-Kola, nommés “Fliegerschokolade” pour les aviateurs de la Luftwaffe, et “Panzerschokolade” pour les divisions blindées.
La meth a donc joué un rôle essentiel dans le bon déroulement de la Blitzkrieg, le journal “Berliner Kruger” écrit “ Les fantassins marchaient fermement jusqu’à 60 kilomètres par jour, les panzers avançaient nuit et jour”.
Mais les Allemands n’ont pas tardé à voir les effets négatifs de toutes ces drogues, les conditions physiques des soldats se dégradaient de jour en jour à cause de leur addiction, avec également une augmentation des accidents et des suicides. Conscients du problème, le troisième Reich décide dès décembre 1940 de réduire les quantités, le nombre de pilule consommé passe donc de 12,4 millions à 1,1 million.
Les autres pays ont également fait usage des drogues, les Britanniques ont distribué 72 millions de cachets de Benzedrine (amphétamines) à leurs soldats.
Juste avant la bataille d’El-Alamein en 1942, qui aura pour but de chasser les forces de l’Axe d’Egypte, le général Montgomery, qui commande la 8ème armée Britannique, va distribuer à ses hommes plus de 100 000 pilule afin de leur remonter le moral.
Les médecins Américains n’ont jamais réussi à prouver que l’amphétamine améliorait les performances au combat, mais elle permettait au moins de redonner le moral aux troupes et de les garder éveillé plus longtemps. On estime que près de 15% des soldats Américains en consommaient régulièrement, et dès 1942, des cachets de Benzedrine seront distribués dans les kits d’urgence donnés aux troupes de bombardier, en 1943 ils seront distribués à toute l’infanterie. Au total, les soldats Américains ont consommé entre 250 et 500 millions de pilules de Benzedrine.
Boite de Benzedrine fournie dans les kits d’urgence
Au Japon, la consommation est tout aussi présente, avec la de stimulants nommés “senryoku zokyo zai”, qui peut se traduire par “motiver l’esprit de bataille”.
Ces stimulants étaient des amphétamines qui avaient pour but de booster les consommateurs et de les rendre plus efficaces, ils ont été distribués aux soldats, mais également aux civils qui participaient aux efforts de guerre.
Il y avait également des pilules d’assaut qui étaient distribuées aux soldats, les Totsugeki-Jo étaient composés d’amphétamine et de thé vert en poudre afin de booster les soldats, ces pilules étaient surtout consommées par les Kamikazes avant leur mission finale.
Après la défaite du Japon, d’énormes quantités de Meth se sont retrouvées sur le marché et furent récupérées par les Yakuza, ce qui lança la première épidémie de consommation de drogue de 1945 à 1955.
Les dirigeants des grandes puissances de cette guerre étaient également des consommateurs de drogue, il y a l’exemple le plus connu d’Hitler, qui était un grand hypocondriaque et qui faisait quotidiennement appel à son médecin, “Theodor Morell”, qui lui prescrivait de nombreux stimulants, comme la méthamphétamine, qu’il consommait en très fortes doses pour rester en forme et éveillé, ou encore de la semence de taureau pour booster sa testostérone.
Il lui prescrivait également des sédatifs pour calmer les effets des stimulants qu’il lui donnait également, comme le Brom-Nervacit, un barbituriques qui devait lutter contre ses insomnies et ses excès de colère, mais également l’Eukodal, un substitut de morphine utilisé comme antidouleur.
Hitler et Theodor Morell en 1944
Winston Churchill, qui fut le premier ministre Anglais de 1940 à 1945, a également eu recours aux drogues. En effet son docteur, Lord Moran, a tenté de faire baisser sa consommation de cigarettes et d’alcool en lui prescrivant des amphétamines pour lui donner des forces.
Lord Moran en 1943
La guerre froide :
Durant la guerre froide, l’affrontement, qu’il soit direct ou indirect, entre le bloc de l’Est et le bloc de l’Ouest a rythmé la politique internationale, tous les moyens étaient bons pour surpasser l’autre, et évidemment le recours aux drogues pour était courant.
En effet, bien que les Américains avaient déjà dopé leurs troupes pendant la seconde guerre mondiale, c’est à partir de la guerre de Corée (1950-1953) que l’utilisation de stimulant est légalisée. Les Américains ont donc utilisé massivement du dextroamphétamine, qui est un puissant stimulant nerveux commercialisé sous le nom de “Dexedrine”.
Les Américains se faisaient injecter de l’amphétamine et ont eu librement accès à cette drogue, alors qu’auparavant la distribution se faisait dans les rations. Cette utilisation plus récurrente s’explique par le fait que dans les années 50, les amphétamines étaient considérées comme des vitamines, et ce même par les citoyens.
La guerre de Corée marque également la découverte des effets intensificateurs de l’héroïne sur la Méthamphétamine, les soldats ont donc commencé à s’injecter un mélange de ces deux drogues nommés “speedball”.
Durant la guerre du Vietnam, les consommations se sont encore intensifiées, elle est considérée comme la première “guerre pharmacologique”.
En effet, depuis la défaite française et l’indépendance de l’Indochine en 1954, le Vietnam est séparé en 2, avec le Nord du pays qui est communiste, et le Sud qui est capitaliste et où les Américains se sont fortement installés.
Le Vietnam est un point très sensible du communisme en Asie, le but des Américains est toujours de limiter au maximum la propagation du communisme, et ils savent que si le nord parvient à conquérir le sud et à créer un Vietnam unifié et communiste, tous les autres pays de la région tomberont aux mains des communistes.
Les Américains vont donc mettre toutes les chances de leur côté durant cette guerre, avec notamment une utilisation phénoménale des drogues psychoactives, on estime qu’en 1973, près de 70% des soldats Américains au Vietnam consommait des drogues, un rapport de la commission Parlementaire Américaine révèle qu’entre 1966 et 1969, près de 225 millions de comprimés d’amphétamines ont été consommés.
Le sociologue et professeur en psychiatrie Lee Robin a mené une étude sur l’épidémiologie psychiatrique des vétérans du Vietnam, il a donc pu identifier précisément les substances psychoactives que les soldats consommaient pendant la guerre du Vietnam. 92% des soldats interrogés consommaient de l’alcool, 69% consommaient de la marijuana, à peu près 35% consommaient de l’héroïne et/ou de l’opium, et 25% consommaient des amphétamines.
Un soldat Américain au Vientam fumant de Marijuana avec le canon d’un fusil à pompe en 1970
Très vite, l’armée fut confronté à des cas de fortes addictions, notamment à l’héroïne, qui était très peu cher et extrêmement puissante. L’état Américain était soucieux de ces addictions, d’une part car elles affaiblissent les troupes, et d’autre part à cause de la mauvaise image que les vétérans addicts allaient renvoyer de la guerre. Le ministère de la défense a donc mis en place un programme d’analyse d’urine nommé “Operation Golden Flow”, qui n’autorisait que ceux qui avaient un résultat négatif à rentrer. Les soldats qui obtenaient un résultat positif à l’héroïne devaient passer par une phase de désintoxication de 7 jours au méthadone, un médicament qui réduit l’addiction à ces drogues.
Guerres contemporaines :
De nos jours, les amphétamines sont officiellement utilisés par l’aviation militaire américaine afin de se préserver des effets de la fatigue. Selon Betty-Anne Mauger, la porte-parole du service médical de l’US air force, l’usage de Dexedrine est une “assurance pour les pilotes”, certaines de leurs missions (comme c’était le cas durant la guerre d’Irak en 2003) peuvent durer entre 20 et 25 heures, la prise d’amphétamine leur permet de rester alerte durant toute la durée du vol.
Malgré tout, cette prise de médicaments ne semble pas être risquée (au moins durant les missions), car selon une étude de l’US Air force publiée en 1999, aucun accident de vol n’a été attribué à l’usage de Dexedrine, et plus d’une centaine d’accidents ont été causé par la fatigue.
Le monde contemporain a vu émerger de nouvelles guerres, opposant des armées nationales à des groupes armées irréguliers, qui consomment également de grandes quantités de drogues.
C’est notamment le cas de Daesh, qui sont des gros consommateurs de Captagon, un fort stimulant de la famille des amphétamines qui est très populaire dans les pays du Moyen-Orient, tel que l’Arabie Saoudite, l’Irak, la Jordanie ou encore le Bahreïn.
comprimés de Captagon
Le Captagon permet d’atténuer la peur, de supprimer la douleur, d’effacer la sensation de faim, de réduire le besoin de sommeil et d’améliorer la force. Elle transforme les soldats en combattant féroces, selon les témoignages de civils Kurdes, qui ont du fuir la ville de Kobané (au nord de la Syrie) suite à l’invasion de l’Etat Islamique, les combattants de Daesh seraient “sales, avec des barbes hirsutes et de longs ongles noirs. Ils ont avec eux des stocks de comprimés qu’ils prennent sans cesse. Cela semble les rendre encore plus fous”.
Des réfugiés Kurdes franchissant la frontière entre la Syrie et la Turquie
Ces drogues sont également parfois consommées lors d’attentats faits à l’étranger, comme l’attentat de Sousse en Tunisie, où Terroriste de l’Etat Islamique a tué 38 personnes, et dont l’autopsie mentionne la présence de drogues avec des effets similaires au Captagon.
D’autres substances psychoactives sont également utilisées par les combattants, comme la cocaïne, l’héroïne et le hachiche.
Conclusion : Pour conclure, les effets psychoactifs sont utilisés par les soldats pour améliorer leurs capacité et les rendre plus performants, en supprimant notamment le stress, la peur et la faim, et en améliorant leurs forces et leurs sens.
Elles ont été utilisées de tout temps et sont un réel avantage pour les armées qui en possèdent, à l’image de la domination du 3ème Reich de 1939 à 1941, époque où la consommation de drogue était la plus élevée.
Cependant, l’histoire montre aussi que l’abus de drogues peut se montrer contre-productif et baisser les capacités des troupes, comme nous le montre le déclin de la Wehrmacht à partir de 1942.
Sources :
(https://livre.fnac.com/a10128954/Lukasz-Kamienski-Les-drogues-et-la-guerre)
(https://www.amazon.fr/pouvoir-sur-ordonnance-drogu%C3%A9s-si%C3%A8cle/dp/2246812496)
(La drogue, éternelle partenaire du combattant dans la guerre – Areion24.news)
(Theo Morell, le médecin dealer d’Hitler | egora.fr)
(Des pilotes sous amphétamines - La Libre)
(« Alliés et nazis sous amphétamines » : pervitine et benzédrine, drogues de combat)